Les barques cherchent le chemin

là où les jours et les nuits se rejoignent

là où les eaux de l’océan

Les barques cherchent le chemin
là où les jours et les nuits se rejoignent
là où les eaux de l’océan
les eaux des rivières
se retirent  
apeurées
 
Dans ces nuits compactes qui vieillissent les corps
ces nuits où l’enfant même
l’enfant au premier vagissement  
emprunte le visage de l’aïeule qui titube vers la mort
les barques cherchent le chemin
 
Toute la nuit toutes les nuits
le banquet des chiens et de leur descendance
les hyènes ricanent ivres
se donnent de grandes tapes dans le dos
l’écho des rires retentit
se marie au sifflement des crotales
 
Ceux qui refusent les coupes pleines leur enchantement
les pirouettes grotesques des hyènes
les mimiques pitoyables des lycaons
ceux qui tremblent dans tous leurs os face à la nuit sauvage
ceux à qui il répugne de s’agenouiller
de renifler les culs puants des chiens et de leur descendance
ceux qui déclinent les invitations au banquet des assassins
ceux qui dédaignent les tutus pour danser au rythme des chacals  
sous l’œil torve des lunes engluées dans la peur
ceux qui boudent les accouplements présentés comme irrésistibles  
avec les hyènes leur descendance tous ceux qui leur ressemblent
et en plein jour exhibent les loups blottis dans leur giron,  
tous ceux-là, oui, tous ceux-là apprennent à mordre et dévorer leurs poings
 
Toute la nuit toutes les nuits le banquet
et la veuve traque en vain les ossements de l’homme
de celui qui savait de quoi était fait son combat
Elle range son effroi sous une ceinture de chardons
pour ne pas faire son deuil de la vérité
Dans l’haleine fétide des nuits de bombance
malgré les chiens et leur descendance
vautrés dans la pourriture
les barques cherchent la rive
où chemine la veuve oubliée dans ses habits de veuve
la veuve aux seins creux d’avoir trop gémi
celle que l’on dit folle perdue la voici
elle a faim et de dégoût vomit ses entrailles
sa vomissure éclabousse les nappes du banquet
le pelage déjà tellement sale
des chiens dans la pénombre,    
Elle mord et dévore ses poings
et ses poings chaque nuit renaissent
Elle se lacère les lèvres
dénonce les trêves mensongères
rompue elle marche et cherche  
marchera jusqu’au bout de la nuit
Quelquefois elle rêve
qu’elle crève les yeux des hyènes et des lycaons
de tous les chiens sauvages et de leur descendance
Sous ses voiles paisibles elle recense les meutes
elle a appris à dormir sur sa table en bois dur
pour attendre l’arrivée du jour
 
Plus jamais les chiens sauvages
 
Mais le jour appartient aux chiens et à leur descendance
à tous ceux-là qui fuient
la queue basse
quand la fureur des eaux menace
et qui sans état d’âme  
dans la puanteur vingt années plus tard reviennent
Ils fuiront un jour sans retour  
crie la veuve
Ils fuiront sans queue ni crocs  
 
Dehors les chiens Plus jamais les chacals
 
Les chiens ricanent, les chacals grincent des dents,
ils trinquent
mais elle ne tremble plus face à la mort
ses pas désormais connaissent
les secrets des montagnes endormies
et ses ongles affutés
sous son voile ses pupilles
deux croissants de lune deux faux
guettent la ronde infernale des chiens sauvages
deux faux ses pupilles
et elle a le cœur froid comme les vieux tigres
ses mains suaves de jadis
ses merveilleuses et tendres mains d’amante
dans la nuit ses mains
deux champs de mines
piqués de noirs chardons

Marie-Célie Agnant est une ecrivaine quebecoise née en Haiti à Port-auPrince. Elle vit à Montréal depuis 1970. Après avoir enseigné le français et travaillé comme traductrice et interprète pendant plusieurs années, elle se consacre à plein temps à l'écriture. Son en…

Biographie