J’ai été élevé dans une vaste cour qui débouchait sur la ravine du sud sans passer par la rue. Là, presque tous les gamins se réunissaient pour s’offrir innocemment la meilleure période de leurs vies. Le temps de l’insouciance.

J’ai été  élevé dans une vaste cour qui débouchait sur la ravine du sud sans passer par la rue. Là, presque tous les gamins se réunissaient pour s’offrir innocemment la meilleure période de leurs vies. Le temps de l’insouciance. Pas de bordereaux à payer, juste un peu de nourriture et des jeux de toutes sortes à n’en plus finir. On s’amusait comme des fous de telle sorte qu’on n’a pas vu survenir le moment de transition où il fallait s’atteler à la préparation du lendemain.

Il y avait de tout. En ce temps-là, les billes se distribuaient dans les établissements scolaires mêmes ; c’est dire que le jeu était clairement indiqué éducatif. Le football n’avait pas de pareil. Sur les cours de récréation, dans les espaces réduits du voisinage les ballons de toutes dimensions roulaient. Là où les moyens étaient faibles, des chaussettes remplies de chiffons faisaient l’affaire. Les plus coriaces tapaient dans les marmites vides quitte à se faire réprimander par nos parents pour la sauvegarde des semelles de nos chaussures.  Quant au volleyball, une ficelle ou un bout de corde servait de filet ; et voilà une galerie occupée pour un défilé de deux contre deux ou trois contre trois suivant l’espace disponible. Lorsque soufflait le vent, les cerfs-volants étaient à l’honneur. Les artistes mariaient les couleurs sur des cadres bien symétriques et cela grondait dans le ciel avec des « têtes » sur les deux bords. 

Dans la panoplie des distractions figuraient aussi les toupies qu’on allait lorgner chez madame Turgeau. Lorsqu’ on ne pouvait se les procurer, on coupait des branches d’arbres et on en façonnait à coups de machettes, ensuite on utilisait du papier à sabler pour les rendre lisses. La meurtrière compétition surnommée « mennen nan pok » était l’apanage des plus doués. Alors là, il fallait avoir du cœur, car la toupie victime devait subir les piqures appelées « mou »de tous les concurrents.

On imitait aussi les mousquetaires armés d’épées  sinon de formes de fusil pour jouer au soldat marron. Toujours après une longue attente, les marrons surgissaient et surprenaient leurs adversaires obligés de remettre les armes. Rappelons les petits camions que l’on tirait avec tant de précaution prétendant qu’on était des chauffeurs chevronnés en imitant de la bouche le ronflement des moteurs comme si le péril était imminent. Je n’oublierai pas les cercles que l’on manœuvrait à l’aide d’un long guidon avec beaucoup de dextérité qu’on démontrait dans les coins réduits à la rasade des galeries derrière les poteaux. Il me faut mentionner les panzous, les « bay tout li » où l’on devait remettre, si on ‘avait pas dit à temps le mot de passe convenu, les petits amuse-gueules que nos parents nous refilaient entre les repas. 

On se mêlait aussi aux filles dans les rondes, on sautait à la corde en demandant du vinaigre, trois coups doux, trois coups piqués.  On participait aux osselets. De plus on allait à la chasse lançant des clips, des flèches aux anolis (lézards), aux crapauds et aux oiseaux. Les crabes n’étaient pas exempts ; on fabriquait des boites et on leur tendait des pièges. Les poissons non plus n’étaient épargnés, on avait des hameçons et l’appât était à la portée de la main. Le soir venu enfin on écoutait et tirait des contes avant de sombrer dans un sommeil profond et réparateur.

C’était une pause rafraichissante avant de passer aux choses sérieuses, ah, que dis-je, aux choses de l’existence où l’âpreté de la vie a réduit sous silence tout ce que nos instituteurs nous ont inculqué sur les bancs de l’école. Qu’il est écœurant de coudre une belle robe et de la porter à l’ envers!