Chuttt !!! Je m’apprête à vous faire un aveu. Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas séjourné dans cette belle cité que nous autres Cayens chérissons et qui devient ville d’adoption pour des Haïtiens ou des étrangers ayant le privilège d’y séjourner.

Chuttt !!! Je m’apprête à vous faire un aveu. Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas séjourné dans cette belle cité que nous autres Cayens chérissons et qui devient ville d’adoption pour des Haïtiens ou des étrangers ayant le privilège d’y séjourner. Je me le fais parfois rappeler, à tort, que je suis devenu étranger à cette ville. Pire encore, je dois endurer, comme une vraie gifle, qu’on me rappelle que n’existent plus mes références d’antan. Pourtant, tout dans ma nouvelle vie, sur ma terre d’accueil, devient prétexte pour que je me téléporte dans ce coin de terre qui m’a vu naître. Je me laisse de temps en temps aller jusqu’à rêver. Le rêve, après tout, n’a-t-il pas été, au cours de l’histoire et des civilisations, un moyen pour s’affranchir du temps et de l’espace ordinaire, un moyen de guérison de maux divers ? Le mal n’étant ici que l’exil forcé auquel nous sommes contraints. Empruntant alors ces vocables de mon collègue éditorialiste, j’affirme être un exilé temporel et géographique.  Mais assez de lamentations !

Au chapitre des épisodes m’ayant téléporté, une anecdote, que je promets de vous raconter, m’a récemment offert l’opportunité de réfléchir sur ce qui, pendant longtemps, a fait la renommée de la gent masculine cayenne : sa galanterie.  En effet, les Cayens partaient bons premiers autant dans l’art de nouer des relations purement amicales avec la gent féminine que dans celui de la courtiser. À seul titre d’exemples, nous noterons qu’ils savaient formuler respectueusement une demande d’amitié.  Ils recouraient à toutes sortes de prouesses littéraires pour conquérir celles sur qui ils jetaient leur dévolu. Certains apprenaient la chanson et la guitare pour conter fleurette et, avec une séance de sérénade, prendre une longueur d’avance sur leur compétiteur. Que dire enfin de leur élégance dans la façon unique d’inviter les femmes à danser lors de ces soirées animées par des orchestres de la ville et dont les morceaux de prédilection ne tarissaient pas d’éloges pour celles-ci !

Je vais cesser de louvoyer. Une promesse reste une promesse. En bon citoyen, limé et relimé au frottement des prescrits de l’instruction civique et morale qui fut un manuel obligatoire du cycle primaire, je sais pertinemment que la parole donnée est sacrée, du moins pour ceux qui se respectent.  Alors que, revenant d’une pharmacie, j’ouvrais la portière de la voiture à ma très chère épouse, une dame s’approcha de moi et me lança tout de go : « Vous êtes monsieur un gentilhomme, vous faites partie de ces espèces rares, votre galanterie me laisse bouche bée et je vous en félicite ». Éduqué et ayant bien appris, je la remerciai pour son gentil compliment.  Mais je ne pus m’empêcher de vouloir comprendre le message caché derrière toute cette peine que cette dame s’était donnée pour opiner sur le comportement d’un parfait inconnu. Voilà qu’un geste naturel, que je pose au quotidien, était perçu par comme un acte exceptionnel.

Certains d’entre vous, et probablement ceux des générations Y et Z, diront de moi que je suis "vieux jeu".  À vous justement je réponds, sans demi-mesure, que vous vous logez tout simplement à la même enseigne que bon nombre d’habitants de ce pays qui m’a accueilli, qui ne partagent pas notre conception de la galanterie ou en ignorent carrément l’existence. Je peine à réaliser que vous ne perpétuez pas certaines traditions, certaines valeurs, certains principes. Je souffre de constater que vous n’avez pas compris que ces petits détails, qui prennent la forme de propos, de compliments ou de petits gestes d’attention envers la femme, ont tout leur poids dans les interactions humaines et plus précisément dans les relations hommes-femmes. Ils témoignent du respect, de l’admiration, ou sont utilisés comme simple outil de séduction.

Les années passent. Le monde évolue et devient un village global. La mondialisation a fait tomber entre autres les barrières culturelles. L’accès accru aux médias sociaux et à des produits culturels plus diversifiés influence davantage le frottement interculturel. Faut-il cependant, face à ces nombreuses interactions culturelles, tout embrasser au détriment des éléments clefs de sa propre culture ? A-t-on besoin de s’acculturer pour être soi-disant à la mode?

Certaines pratiques peuvent être questionnables. D’autres méritent probablement d'être placées sous la loupe de certains filtres tels l'évolution vers une société plus paritaire, la revendication de la gente féminine pour un traitement égalitaire et son désir de jouir et de faire preuve d'une plus grande indépendance. Il n'en demeure pas moins vrai, cependant, que la gent masculine continue d'avoir la louable et légitime tâche de faire preuve de courtoisie, de galanterie et d'élégance dans ses interactions avec les femmes. Cette tâche est d’autant plus un impératif quand on a l’héritage de prendre naissance dans un pays, ou plus précisément dans une ville connue pendant longtemps pour la galanterie sans pareille de sa gent masculine. C’est d’ailleurs fort d’un tel héritage que, dans mon exil forcé, je me permets de rêver et de me faire une représentation autre de la réalité qu’on me dit être désormais celle de notre belle ville des Cayes.

Je rêve donc d'une ville des Cayes où la renaissance de la galanterie de sa gent masculine constitue un des vecteurs lui redonnant sa splendeur d'antan. Je rêve d'une ville des Cayes où le respect et la déférence envers les femmes supplantent le machisme sous toutes ses formes, déclarées ou non. Je rêve d'une ville des Cayes où les hommes en général et la jeunesse en particulier se révoltent et tiennent tête à tout individu qui, dans ses propos et gestes, essaie de rabaisser la femme et de l'abêtir. Je rêve d’une ville des Cayes où sont mis au ban les fils de la ville ou ceux qui s’y sont installés et qui, faisant fi des valeurs propres à cette ville, se permettent d’afficher des comportements qui ne font point honneur à sa grande renommée d’antan. 

Je rêve d’une ville des Cayes où l’instruction et l’éducation regagnent leurs lettres de noblesse et leur place de prédilection dans la liste de ce qui mérite d’être recherché même au prix de nombreux et grands sacrifices. Je rêve d'une ville des Cayes où les femmes, les jeunes filles se ressaisissent, reconnaissent leur vraie valeur, et ne se laissent ni tenter ni séduire par ces incultes qui n'ont de voix que celle de leurs billets verts.  Je rêve d'une ville des Cayes qui, sans tomber dans le snobisme, encourage une culture de l'élégance, une culture de l'excellence, et rejette systématiquement la médiocrité, l'arrogance et l'ignorance. 

Je rêve d’un vent nouveau pouvant souffler sur notre pays, sur notre belle région côtière du Sud et sur sa métropole.