Là, toute la douceur de la vie haïtienne vous enveloppe d'abord, dans la sympathie d'une vie familiale intense, chaude...

Là, toute la douceur de la vie haïtienne vous enveloppe d'abord, dans la sympathie d'une vie familiale intense, chaude... Une famille nombreuse qui n'en finit pas, à dénombrer les pères et mères et les enfants, les grands-pères  et les grands-mères, et la cohorte des petits-enfants, les cousins germains et les sous-germains, les oncles et les neveux, les tantes et les nièces. 

A tout cela se joint une famille spirituelle dont les liens ne sont pas moins forts et ceux de la famille consanguine: parrains et marraines de baptême et de mariage, et toute l'armée des filleuls (les) qui s'ensuit. 

Que de gens se considèrent comme frères ou sœurs parce qu'ils ont le même parrain ou la même marraine. Et toute cette branche que l'amour a été: gendres et brus, beau-père et belle-mère, beau-fils et belle-fille et, à côté, cette parenté dont les liens maintenant se lâchent: les frères-bras et les sœurs-bras, c'est-à-dire , l'autre communiant qui marchait à vos côtés aux différents défilés des cérémonies de votre première communion. Il faut bien ajouter le groupe des "Tokay", qui réunissait tous ceux qui portent le même prénom. Et les voisins?... Un proverbe créole prévient d'ailleurs: 

VOISINAY SE FANMI (Les Voisins, c'est aussi la famille!)

A la famille citadine, vient se jouxter la famille paysanne. Il y a entre elles, un petit problème formé des milles complexes de l'héritage colonial. D'ordinaire, les relations sont presque mortes. On ne sait qu'elles existent qu'à l'occasion d'un partage entre héritiers d'un même immeuble, d'un de ces multiples "manger loas" (mangers aux lares de la famille) qu'exige la religion vaudouesque. 

Mais, c'est en période de vacances surtout que les relations familiales ville-campagne montent au maximum de leur ardeur. C'est la période de suspension ou plutôt de ralentissement de toute vie économique, la "morte-saison", l'appelle-t-on. Les bourses des parents citadins sont démunies, la campagne regorge de vivres alimentaires, fruits, bétails, etc... pour alimenter les enfants durant les vacances, les parents campagnards sont une aubaine. 

Et, c'était là vraiment pour beaucoup l'inoubliable des vacances . Ainsi par la fraternité des familles, la bienvenue partout, où personne, par ses liens n'était traitée en étranger, ç'avait l'air d'une grande coopérative de vacances, des bombances d'une seule famille. 

Ce qui revient d'abord quand on pense à ces jours ensoleillés de joie, ce sont ces préparations culinaires presqu’oubliées aujourd'hui et qui faisaient notre bonheur . Ces recettes d'où nous venaient-elles? ... D'Afrique?.... de France?.... de Saint-Domingue?... Des premières années de notre indépendance?.... En tout cas, leur fumet nous poursuit comme une émanation même du patelin. 

Ces "Nourritures Terrestres" suffisaient pour Emile Roumer à évoquer son patelin; dans une payse de sa terre natale, il ne voyait et ne sentait que "Crabes en Aubergine", "Afiba dedans mon calalou", Doumboueil de mon pois", des "acras croustillants et des Thazar bien frits"...
Nous aussi, nos plus fortes évocations de la terre natale ne peuvent oublier le "tanm-tanm et son bouillon de calalou", le "mais-bouilli arrosé de jus de piments au kokoyé", l'arbre-à-pain", le doucounou, la cassave et le bobori" riz , maïs, petit-mil et leur mélange, leur combinaison avec tous les pois connus: pois rouge, pois noir, pois blanc, pois-souche, pois -Congo, pois maldioc, pois-mélange, pois-beurre, pois-Jérusalem et pois-inconnu... Pourrons-nous énumérer toutes ces nourritures terrestres qui nous ont grandi, qui nous ont fait prendre goût à la vie. Tout le bétail: bœufs, cabris, moutons et porcs; toute la basse-cour: poules et pintades, canards et dindes. 

O doux fruits de mon pays natal!

On dirait qu'on les savoure en les énumérant: Mangot de toutes les variétés: fil, francisque, labiches, labiche-tounen, labiche-Bainet, baptiste, grenn tonton, madan Blan, numéro, muscat, carotte, ti-glisse, ....; toutes les figues, les variétés de cachimans et de cirouelles; pomme-de-Cajou et goyaves, quenêpes et caïmites; grenadines, grenadias, pomme-liane, calebasse-sucre, corossol, prune de Cythère (ponm citerne), ... tous sucrés, tous nourrissants, tous agréables...

Le  Zaboka en la faveur de qui tout plaidait, surtout le maïs moulu de toutes les gammes avec poisson, maïs moulu Blan avec tomate et joumou (giraumon); patate au lait,  Doumboueil de farine manioque et pois noir. Et les milles façons de manger le maïs en Latol, en Akassan, en bouillie , en "à-côté", ... Et, les multiples façons de vous apprêter produits de mon pays qui sentent le terroir: maïs et patates boucanées, cribiches et crabes, ortolans et oiseaux-palmistes...; canne-à-sucre de tous les noms: Ti-Klouz, Blan, Ananas,...
On apprenait à se connaître dans jeux et bals et cocktails de clairin avec une zeste de citron. Gaguères aux coqs ébouriffés et sanglants, aux parieurs avinés; fêtes patronales-champêtres aux processions pittoresques où, après la messe on allait manger des marinades savoureuses arrosées de sauce aux tomates. ... C'est dans une Haïti juteuse que je m'enfonce et que je m'enivre. 

Nous vous invitons, jeunes du pays, amis d'Haïti qui ne connaissent pas encore les joies profondes et indicibles de "Haïti Chérie" à mieux connaître le charme de nos rivières et la joie de nos plages. Et , il y a les noms des lieux, les noms qui sonnent aux oreilles depuis l'enfance et qui entrés dans notre univers familier. Parfois, sans les connaître encore nous nous en faisons une représentation suivant les dires des autres et les peuplons de nos rêves.  

Le Palais aux Trois-Cent-Soixante-Cinq portes, la Citadelle la Ferrière, les rizières de l'Artibonite, ti Sainte Anne, les grandes initiations zobop et bizango dans l'Artibonite, à l'Arcahaie où la danse "banda" était si réputée qu'on y a même fait une chanson pour la célébrer; Port-salut, les mystères de la campagne Jérémienne et des grandes plaines du Sud; Léogane la mythique et la mystique à la renommée magique pour le nombre de hougans (prêtres du vaudou) par kilomètre  carré. Bassin Zim dans le plateau central et toutes les légendes  d'apparition de Tainos qui entourent ces lieux; Saut d'eau dans tous nos rêves, source puante de laquelle on revenait pure de tout "madichon" et "guignon".

Pour nous autres Jacmeliens, Cayes-Jacmel  (nous disons simplement aux Cayes", aux belles vagues blanches et à l'horizon découvert sur la mer; Marigot à la grève de pierre où se réunissaient tous les arbres têtes inclinées pour saluer la mer. Peredo et la chapelle de Marie-Madeleine qu'on se représentait rustique, beau, grand et simple comme une page d'évangile. Cap-rouge, la Montagne dans les hauteurs froides, rouge et vert, rouge par le sol, vert par les caféiers; Cap-Rouge et son "du riz-pays" ambré à l'arôme et à  la saveur appétissante qui n'est plus hélas!

Grande Rivière, La Gosseline, Marbial, Fond-Melon, terres des eaux. Terres nourricières où nous avons passé maintes vacances. La Brésilienne, dans la Montagne, pèlerinage dans la magnificence de la mer. La vallée, citée alpestre, oasis vert dans un décor de mornes dénudés livrés aux jeux du soleil et du brouillard. 

Les Docos entourant le massif de la Selle où, dit-on, vivent encore les premiers habitants de l'Ile: Les Tainos , que le paysan identifie au Yeti et qui s'appelle ici "La Cigouave" parce que couverts de poils et hirsutes à volonté. Tout le folklore de Malice et de Bouqui, tous les contes de la grande diablesse, de ce pays où les femmes ne sont pas admis et où l'horloge découvre la supercherie d'une femme déguisée en homme en sonnant les heures alarmantes  au glas de "Sam wê laa se yon fanm" (Ce que je vois là est une femme!) . 

Tout ce souffle riche en ingénuité, en talents, en sentiments fructueux et généreux, en philosophie de la vie où la générosité est bien souvent le mot d'ordre... tout cela ne saurait mourir sous les assauts du monde moderne qui a met tout dans le grand "fourre-tout de la globalisation". 

Placez-y vos idées et vos images les plus originales, les plus personnelles. Ajoutez-y tous les autres noms des lieux où vous serez allés et agrandissez cette géographie du cœur qui fait le vrai "Natif-Natal".