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Éditorial

HAÏTI DOIT SURVIVRE ET SURVIVRA

30 décembre 2021

En acceptant l’invitation d’écrire l’éditorial coiffant cette dernière livraison de Xaraguamag pour 2021, je n’avais pas encore une opinion bien arrêtée  sur le sujet. Ainsi, j’étais encore en plein dans mes réflexions quand j’ai reçu ce matin sur mon portable deux bandes vidéos qui m’ont considérablement aidé à clarifier les idées que je ruminais dans mon for intérieur : une vidéo de la soirée de la Noël  2021, place Dumas à Jérémie, diffusée via l’internet par  Lesly Bontemps; l’émission hyper réaliste du docteur en théologie et historien Jean Fils-Aimé intitulée « 2021, une année horrible à tous les égards! Quelles leçons pour l'avenir? »

Sans la moindre crainte de verser dans une forme quelconque de régionalisme ou d’utopie,  l’expatrié et nostalgique jérémien que je suis a conclu dès les premières images du clip de Lesly Bontemps que Jérémie est aujourd’hui une ville pétillante d’activité habitée par une jeunesse  résiliente qui mérite qu’on lui fasse confiance. Ses jeunes ont décoré la place comme ne l’ont jamais fait les autorités de mon temps et ils ont créé une ambiance bon enfant qui justifie toutes les formes de l’espoir. À les observer depuis mon exil d’Ottawa, je me suis exclamé, cette viole et ce pays doivent absolument survivre!

 Jérémie s’est manifestement redressée après l’exode des dures années François Duvalier; les tâtonnements et les excès de  l’après-1986; les ouragans et les séismes à répétition des dernières décennies, etc. Comment aurait-on pu imaginer qu’une telle Noël serait possible quelques années seulement après le passage de l’ouragan Matthew, les deux derniers tremblements de terre et les commotions politiques des dernières années? À mon sens, le miracle est en train de s’opérer et rien n’empêchera qu’il s’étende à toute la Grand’Anse, au Grand Sud et à l’ensemble du pays. 

À l’agréable surprise des saines réjouissances de la Noël autour de la fontaine illuminée de Ti-Amélie, les organisateurs ont ajouté quelques minutes d’un concert donné à l’Asile de Marfranc par une chorale locale qui a droit à toute notre admiration… À dire que la Grand’Anse renaît et se fortifie à chaque épreuve !

Dans un autre registre, le Dr Fils-Aimé faisait, en cette matinée du 27 décembre, un survol méthodique des diverses crises que le pays a connues de la fin de 2020 à ce jour et qui montrent que l’impasse d’aujourd’hui était tout à fait prévisible. Elle découle en ligne droite du refus, observé au cours des dernières décennies, de créer un Conseil électoral permanent de tenir des élections législatives et municipales, de combler les vacances survenues aux divers échelons du pouvoir judiciaire, etc. 

Dans le contexte ainsi créé, la caducité de la Chambre des députés et le dysfonctionnement planifié du Sénat et des organismes clés comme la Cour de Cassation, la Cour supérieure des comptes, etc. ont complété la disparition des institutions indispensables au fonctionnement de l’État de droit et préparé le chaos que nous vivons aujourd’hui.  Après avoir géré par décret pendant les six premiers mois de l’année, le président a été assassiné dans son lit au début de l’été, ce qui a plongé le pays dans une crise dont on ne voit pas encore l’issue. La question de la survie de la Nation se pose alors dans un autre contexte, sous un autre éclairage : Haïti survivra-t-elle ? Et dans l’affirmative, comment et à quelles conditions? 

Deux théories s’affrontent sur ce sujet : celle du professeur Ernest Renan qui affirmait, dans  une conférence prononcée  à la Sorbonne en  1882 : «  Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront..» De son côté, Abraham Lincoln apportait une précision qui nous tiendra lieu de leçon : « Les nations ne meurent pas d'invasion; elles meurent de pourriture interne. » Autrement dit, s’il y a un danger de disparition, il ne viendra ni de la République Dominicaine, ni des États-Unis, mais de notre mauvaise gestion. Là, le risque est réel, et il faudra un sursaut d’énergie, de patriotisme et beaucoup de détermination pour sauvegarder et fructifier le patrimoine que les Fondateurs nos ont légué et que nous sommes en train de dilapider.

Pendant que les indicateurs courants et prospectifs de l’activité économique et politique incitent à une perte de confiance en l’avenir, on enregistre tant  au pays qu’en diaspora des succès et des réussites qui forcent l’admiration et donnent espoir. 

Sur le plan économique, la diaspora a pris le relais de l’État défaillant pour soutenir à coups de millions de dollars par jour une économie interne anémiée par la corruption, la mauvaise gestion, l’insécurité et l’incompétence des dirigeants. Aussi pervers que puissent être les effets d’une perpétuation de ces paiements de transfert sur les mentalités des bénéficiaires, ils constituent une protection contre les risques d’une grave explosion sociale. En outre, ces sommes contribuent à financer des études de différents niveaux et des activités de formation.

Dans le domaine culturel, Haïti a remporté cette année l’étranger d’éclatants succès qui ne peuvent laisser indifférents. Pensons seulement au Prix RFI Théâtre 2021 décerné à l’auteur de 26 ans Jean d’Amérique pour son Opéra Poussière qui retrace l’histoire de l’héroïne Sanite Belair exécutée à 21 ans en 1802 au Cap-Français avec son mari Charles Belair.  Dans la même veine, la réalisatrice Gessica Généus décrochait deux prix avec son film FRÉDA au Festival International du Film Francophone de Namur en Belgique. Le film avait au préalable été projeté en avant-première au Festival de Cannes 2021.

Durant cette même année 2021, la jeune avocate  Lovely Jean-Louis, du barreau de Port-au-Prince, se qualifiait pour la finale du concours international d’art oratoire organisé par la Conférence Internationale des Barreaux. Première femme du barreau de Port-au-Prince à participer à la finale de ce grand concours, Me Jean-Louis est la preuve vivante que tous les espoirs sont permis et que ce pays ne peut ne pas pouvoir survivre à ses dures épreuves.

Par ailleurs, l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert remportait le 21  septembre la 5e édition du « Prix littéraire Patrimoines de la Banque Privée BPE » pour son livre Milwaukee Blues. Il aurait été à deux doigts de décrocher le Goncourt 2021.

 

Indépendamment des considérations qui précèdent, je trouve des motifs d’espoir et des arguments en faveur de ma thèse dans de nombreux domaines, notamment dans l’histoire des relations internationales et dans les ressources intrinsèques du peuple haïtien.  

Premièrement, un État ne se limite pas à un territoire. Il  est constitué d’une communauté d’hommes et de femmes ayant des caractéristiques ethniques, linguistiques et culturelles communes et chez qui les coutumes sociales et les traditions historiques et religieuses ont développé un sentiment d’appartenance à un coin de terre et une volonté politique de vivre ensemble. Dans cette vision du monde, la nation continue d’exister même en dehors d’une entité territoriale quelconque. Ainsi, la nation israélienne a existé  pendant près de deux millénaires, soit jusqu’en 1947, sans avoir son propre territoire. De même, la Pologne a survécu en deux siècles à quatre partages successifs entre la Prusse, l’Autriche, l’Allemagne et la Russie et la nation polonaise a conservé néanmoins son identité. Dans le cas extrême et tout à fait improbable d’atteinte à l’intégrité territoriale d’Haïti, la Nation survivrait et reprendrait un jour ses droits.

 

Eddy Cavé

 

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