2023 une année à oublier en Haïti

De l’entrepreneur jusqu’au consommateur final, en passant par le chef de foyer, le simple employé, le passager du transport en commun, le propriétaire de véhicule roulant, l’étudiant ou le chômeur tout un chacun a ressenti à des degrés différents le poids de la situation économique désastreuse qu’a connue Haïti en 2023. Une année, comme la précédente, marquée du sceau de l’instabilité politique et de l’insécurité récurrente qui s’installent depuis des lustres comme des phénomènes très préjudiciables aux activités socioéconomiques en Haïti.

Ces deux fléaux, joints à un contexte international très incertain, ont conduit une nouvelle fois Haïti vers une décroissance économique en 2023. Ainsi, pour la cinquième année consécutive, le pays a connu une contraction de son économie avec un PIB négatif évalué à -1,9% par l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI). En effet, après avoir atteint en 2022 un PIB d’un montant estimé 604 milliards de gourdes, en 2023 le PIB est estimé à 592,7 milliards de gourdes. Soit une baisse en volume 1,9% par rapport à l’année précédente.

Ces données traduisent l’état plus que lamentable de l’économie haïtienne qui, depuis 2019, n’a jamais connu une année de croissance. Le pays s’est englué dans une dépression économique contre laquelle les autorités concernées ont étalé toute leur incapacité à trouver des solutions viables à des problèmes majeurs qui handicapent fortement la bonne marche des activités économiques dans le pays et font dérailler les indicateurs macroéconomiques. Parmi ces problèmes majeurs, on peut citer :

- La crise politique récurrente qui a atteint son point culminant avec l’assassinat du président Jovenel Moise en Juillet 2021. Selon l’IHSI, cette crise n’est pas sans conséquence sur l’atterrissage « violent » que l’économie haïtienne a connu en 2023,

avec comme toile de fonds une nouvelle baisse du PIB et la persistance de l’inflation a deux chiffres. Si en 2023 on n’a pas eu droit à des manifestations violentes généralement très préjudiciables aux activités économiques, par contre les agents économiques ont vécu avec la plus grande inquiétude l’augmentation vertigineuse des cas de kidnapping. Cette crise a également envoyé un mauvais signal aux investisseurs étrangers qui exigent généralement des garanties institutionnelles pour atténuer les risques liés aux investissements. Or l’un des conséquences de la crise sociopolitique c’est qu’elle a rendu dysfonctionnelles ces institutions de garantie prévues par la constitution.

- L’aggravation de la crise sécuritaire occasionnée par le pullulement des gangs armés poussant comme des champignons partout dans le pays et surtout dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince constitue le plus grand souci des agents économiques. En occupant les principaux axes routiers reliant la capitale économique et financière au reste du pays, en dépossédant les gens de leur lieu de résidence, en décapitalisant les familles et les entreprises dans la capitale haïtienne et dans l’Artibonite les gangs armés ont réduit considérablement la circulation des gens et des marchandises, occasionné la détérioration des conditions de vie déjà précaires de la population avec évidemment des conséquences incalculables sur les activités économiques. Ce qui fait de l’insécurité l’un des principaux facteurs ayant plombe l’économie en 2023.

- L’attentisme et l’instinct de survie des agents économiques face à la dégradation continue du climat de l’insécurité ont poussé beaucoup d’acteurs du secteur des affaires à s’abstenir de se lancer dans de nouveaux projets d’investissement dans lesquels les risque de pertes étaient trop élevés. Cette attitude un peu trop prudente qui a caractérisé le comportement des hommes d’affaires en 2023 n’a pas contribué à booster l’économie.

- Plusieurs grands projets de construction et de réhabilitation d’infrastructures publiques envisagés en 2022 en vue de relancer la croissance en 2023 ont connu du retard dans leur exécution. Certains de ces projets qui visaient la création de beaucoup de valeurs ajoutées n’ont pas pu être concrétisés et d’autres ont pris du retard. Car, à côté de la situation générale du pays qui n’était pas tout à fait propice à cause de l’insécurité, certaines lourdeurs administratives n’ont pas non plus facilité l’avancement des dossiers pour l’exécution effective de certains travaux.

- La réduction importante de la main d’œuvre disponible constitue un autre préjudice ajouté à aux risques multiples auxquels l’économie haïtienne a eu à faire face au cours de ces cinq dernières années. Selon l’IHSI, la forte émigration enregistrée en 2023 parmi les couches les plus jeunes de la population en âge de travailler et de de beaucoup de jeunes cadres universitaires et de professions manuelles en Amérique du Nord et ailleurs peut se révéler néfaste pour l’économie en affectant outre mesure la quantité de main d’œuvre qualifiée disponible à court, moyen et long terme au moment d’une relance effective des activités où on aura besoin d’une masse critique de jeunes cadres universitaires et autres.

On comprend fort bien que dans un environnement aussi hostile, le rendez-vous à la croissance en 2023 n’a pas été respecté. Cette situation indispose les opérateurs économiques évoluant dans les trois grands secteurs d’activité, le secteur primaire, le secteur secondaire et le secteur tertiaire. Ces trois grands secteurs de l’économie ont vu leur valeur ajoutée contracter au cours de cet exercice, avec des montants respectifs de 95,6 milliards, 137,1 milliards et 316,2 milliards de gourdes à prix constants en 2023, contre 101,3 milliards, 142,4 milliards et 325,7 milliards en 2022. Il en est résulté respectivement des taux de croissance négatifs de -5,6%, -3,7% et de -2,9%,

Indicateurs au rouge

Les facteurs de blocage énoncés plus haut ont non seulement détérioré l’économie qui était déjà moribonde après quatre années successives de décroissance mais aussi ont contribué à agir négativement sur les indicateurs macroéconomiques qui ont tous tourné au rouge en 2023.

Si on prend par exemple le phénomène de l’inflation qui, malgré une tendance à la baisse constatée vers le dernier trimestre de l’année, maintient Haïti en tête des pays où le coût de la vie est plus élevé au niveau des pays de la région. D’environ 42% en novembre 2022, l’inflation était calculée à 22,8% en novembre 2023.
Plusieurs facteurs ont contribué à alimenter la hausse des prix généralisée sur le marché haïtien tels que : l’installation de postes de péage par les groupes armés pour forcer camions transporteurs à payer un droit de passage parfois élevé ; l’anticipation des agents qui augmentent automatiquement leur prix de vente à la simple pensée que les prix vont augmenter ; le déséquilibre entre l’offre et la demande de biens sur le marché provoqué par la mauvaise performance de l’agriculture en 2023 ainsi que la baisse des importations ont provoqué une certaine diminution de l’offre des produits locaux et importés sur le marché, etc .

S’agissant du taux de change, même si on a observé des baisses successives du taux de change en avril (passant de 153,3 gourdes pour un dollar en avril à 134,7 gourdes en en septembre, les niveaux du taux de change restent nettement supérieurs en 2023 ce dernier est resté baisse du taux de change. Une relative stabilisation à la baisse a été constatée à partir du 2e semestre de l’année fiscale où le taux s’affichait au-dessous des 135 gourdes. Cette tendance à la baisse n’a pas tellement influé sur les prix.

La seule bouffée d’oxygène pour l’économie est venue des transferts de fonds de la diaspora haïtienne qui ont envoyé au total 3,8 milliards de dollars à leur famille en 2023. Ce qui représente environ 20% du PIB du pays. Cette manne des transferts la diaspora est considérée à la fois comme un avantage et un inconvénient pour le pays. Un avantage parce qu’il comble en partie le déficit d’emplois qui caractérise l’économie nationale et un gros support aux ménages humbles.

D’un autre côté, certains observateurs estiment que cette trop grande dépendance vis-à-vis des transferts sans contrepartie est un défaut que les responsables devraient corriger. Cette situation rend le pays trop exposé aux chocs externes.

Garison Vice