Ce fut un différent 1er janvier. Le premier
Il a plu ce premier janvier 1804. Un nuage épais couvrait la ville des Gonaïves. Etait ce un présage des mauvais jours que connaitra le pays après l'indépendance? Ou était ce encore celui qui a couvert pendant trois siècles le ciel d'Hispaniola et de St Domingue qui tardait à se dissiper?
De toute façon, ici les orages sont fréquents mais ne tardent pas. Le Soleil réchauffe toujours le ciel de cet île caribéenne et le cœur de ses habitants. Quoiqu'il en fasse, c'est un nouveau printemps dans les saisons politiques de la vie de ce peuple noir issu de presque toutes les tribus de la côte ouest de l'Afrique.
Les orages furent violents à la butte Charrier, à Vertières, et ceci n'a pas pu empêcher cela : la victoire sur l'armée Napoléonienne, le départ des troupes occupants, et l'annonce prochaine de la naissance d'une nation nègre, la première dans la Caraïbes et l'Amérique. Subitement, un timide soleil se fait voir à travers les nuages dans ce ciel bleu et les reflets font briller l'éclat des yeux de Claire Heureuse.
Autour, ce sont les dignitaires qui défilent, c'est la grande horde d'esclaves/guerriers qui afflue et ce sont les Généraux debout autour d'elle et de son époux, le Grand Jean Jacques Dessalines.
Claire, fièrement admirait l'homme, petit de taille mais si grand dans son âme."Il est bon, généreux pense t'elle, mais les douleurs de l'esclavage, la brutalité du blanc vis à vis de ses frères, les tortures subies en ont fait un due à cuire". "Je l'aime" se dit Elle, jetant un regard doux sur ce vaillant, belliqueux, jovial, orgueilleux, sans détour, sa tenue militaire fringuant neuf, immaculée avec des cocardes d'or et d'autres ornements bleus, verts, pourpres.
"Qu'importe s'il aime les femmes, la vie et la liberté plus que moi, je sais que je suis son roc, son "poto mitan", son épouse respectée et écoutée.
Debout sur l'estrade construit pour l'occasion, il aura à lire la déclaration de l'indépendance de la colonie de St Domingue dotée du nom indien AÏ TI.
"Papa Dessalines" criait la foule, mèsi.
Incarnation des esprits de Hatuey, Mackandal la, Bookman, combinaison d'initiations indiennes, africaines, lui ont prévalu sur tous les autres pour atteindre l'aboutissement souhaité : la liberté.
Le ciel s'est éclairci, le Soleil brulant, une légère brise adoucit son impact, tout est parfait.
De sa butte, au morne la selle, Lamour Dérance, vieillard sans âge, ancien chef de l'armée anglaise dans le sud, grand marron, fume sa pipe et écoute les messages que lui rapporte le vent. Il fronce un peu les sourcils; dans un nuage lui apparait un indien, lui aussi fumant sa pipe. Ils se sourient...c'est le calumet de la paix pense Dérance. Le vieux lézard est heureux...le taureau est dans l'arène, Victorieux. Il a vengé tous ceux qui, depuis l'arrivée des conquistadors ont péris.
Nous avons gagné, nous sommes libres de choisir notre destinée se dit Dérance, autour du taureau se trouve le troupeau: Yayou, Kenge, Brave, Ambwaz, Zenga.
Ah tijanzenga, il a tenu jusqu'au bout. Il a même convaincu de l'accompagner. Reconnaissable avec son pantalon noir, son foulard rouge et son vieux manteau noir.
Dérance sourit, se lève, ouvre les bras vers le firmament.
On ne reverra plus ce grand vieillard.
Il fait beau aujourd'hui premier janvier 2021 et je pense à ces hommes et leurs rêves de liberté.

