J'ai toujours été un asilé. Au cas où vous vous poseriez la question, un asilé est quelqu'un qui a fait une demande d'asile (politique, religieuse ou autre) dans un pays étranger. Il y a dix ans, j'avais demandé (et obtenu) l'asile politique aux Etats-Unis. Lorsque ma demande avait été agréée, j'ai souri et je me suis dit à moi-même : De l'Asile à l'asile. Me voici un Asilois d'origine et qui vient d’obtenir asile au pays de l’Oncle Sam. Voilà quelqu’un toujours en quête d’un lieu de refuge !

J'ai toujours été un asilé. Au cas où vous vous poseriez la question, un asilé est quelqu'un qui a fait une demande d'asile (politique, religieuse ou autre) dans un pays étranger. Il y a dix ans, j'avais demandé (et obtenu) l'asile politique aux Etats-Unis. Lorsque ma demande avait été agréée, j'ai souri et je me suis dit à moi-même : De l'Asile à l'asile. Me voici un Asilois d'origine et qui vient d’obtenir asile au pays de l’Oncle Sam. Voilà quelqu’un toujours en quête d’un lieu de refuge !

            L’asile, le refuge, le déplacement, le déracinement, ces mots ont toujours fait partie de mon vocabulaire de vie. Ils m’ont marqué depuis mon enfance. En fait, je suis né dans la commune de Carrefour à Port-au-Prince au début des années 80. Mes parents qui, eux, sont nés et ont grandi à l’Asile, ont émigré dans la capitale au début des années 60 en laissant derrière eux domaines, terres et arbres fruitiers. Ils ont laissé la terre où leur nombril est enterré pour ne plus retourner dans cet endroit qui, par son nom, est pourtant censé être un abri sûr. Au temps de la colonie, l'Asile a servi de refuge aux colons de l'Anse-à-Veau qui fuyaient leur commune pour cause de persécutions. A cette époque, poursuit-il, l'endroit n'était qu'une immense forêt et ne s'est développé qu'avec l'arrivée des colons.

Je ne suis pas né à l’Asile mais quelques temps après ma naissance, je fus forcé d’y aller afin d’y trouver protection. Lorsque mes parents se sont mis à faire des enfants à Carrefour, l’un d’entre eux du nom de Valmir décéda brusquement. La cause du décès nous était inconnue mais ma mère l'attribua à la méchanceté d’une de nos voisines qui avait une réputation de « loup-garou » sur le quartier. A ma naissance, qui succéda à celle de mon défunt frère, ma mère ne fit ni une ni deux, comme on dit, elle m’envoya me cacher à l’Asile jusqu’à ce que je sois assez grand pour ne pas connaître le même sort que Valmir.

C’est ainsi que je me suis retrouvé à vivre avec ma grand-mère en province. Je n’y ai pas gardé beaucoup de souvenirs sinon qu’on vivait sur de grands espaces et que les voisins se trouvaient à des kilomètres à la ronde. C’était la vie de campagne. L’âge de l’innocence où l’on se baignait nu dans les rivières et que cela ne dérangeait personne.

A l’âge de 6 ans, ma mère me fait chercher et je suis revenu à Port-au-Prince. On était en 1986. La première chose que j’ai noté à la capitale était l’électricité qui manquait à l’Asile. Cela m’avait fait forte impression de voir toute cette lumière dans la nuit. J’allais avoir le même éblouissement 25 ans plus tard lorsque je regardais par le hublot de l’avion qui survolait la ville de Miami. C’était très beau.
 
Donc je revenais à Port-au-Prince en 1986, quelques mois après le départ de Jean-Claude Duvalier. J’entrais alors que Duvalier sortait. Toute l’agitation socio-politique devant aboutir à la date fatidique du 7 février s’était déroulée comme dit, dans mon dos, en mon absence. Je débarquais dans une capitale post-Duvalier. J’allais connaître toute la période des transitions démocratiques et ses soubresauts, les luttes pour la liberté de la presse et de la parole. Plus tard, j’allais me lancer dans le journalisme et c’est le journalisme qui allait me ramener à l’Asile.

En mars 2005, près de vingt années après avoir laissé la terre de mes parents, j’y suis retourné pour effectuer un reportage. J’étais alors accompagné par l’un de mes cousins qui était alors en campagne pour devenir député de la commune de l’Asile.

Ce voyage m’avait également permis de faire beaucoup de recherches sur cet endroit que je connaissais peu finalement. J’avais la chance de rencontrer et d’interviewer des notables de la zone qui m’ont raconté son passé et expliqué son présent. 

L’Asile est une petite ville de 158,82 km2 nichée dans une cuvette au cœur des montagnes du Sud et de la Grand'Anse et arrosée par les rivières Despains, Serpent et Mao, les trois branches de la Grande Rivière de Nippes.

La commune est malheureusement frappée de plein fouet par l’exode rural. Durant ma visite, j’ai vu que les maisons sont désertées, occupées par quelques vieux qui les entretiennent. Quant aux jeunes, je n’en voyais pas beaucoup. "Il n'y a rien pour les retenir", m’avait alors confié un Asilois. Ceux qui restent attendent le moment propice pour gagner d'autres rives. Partir, l'éternelle hantise. Laisser tout derrière soi pour ne plus revenir. Sauf pour les fêtes patronales, les vacances d'été ou un décès.

 Une longue promenade dans les 16 km de la section communale de Changeux, l'une des 4 sections de l'Asile avec Morisseau, Tournade et l'Asile (Ka Paul), permet d'observer que devant chaque maison (chaumière, traditionnelle ou moderne) s'étend un jardin, broutent quelques bestiaux, s'élève un monticule de terre fumant et, à côté, des sacs de charbon de bois se tiennent debout. Ce sont les principaux moyens de subsistance des habitants de l'Asile, élevée au rang de commune depuis 1934.

Économiquement, les principales activités, à part le commerce des Madan Sara, quelques étals et boutiques, sont encore l'agriculture, l'élevage et le charbon de bois, une arme à double tranchant. La plupart des paysans pratiquent d'ailleurs les trois activités pour survivre. "On ne peut faire l'un et délaisser les autres", met en garde un paysan, sa macoute sur le dos et sa machette à la ceinture. "Des fois, on place son espoir dans les récoltes et, comble de déveine, il ne pleut pas pendant toute une saison. Alors on perd la récolte et on est obligé de se rabattre sur l'élevage ou la coupe des arbres", explique-t-il. Et pour cause, à l'Asile, il faut encore attendre la tombée des pluies pour arroser les terres.

Cependant, tout n’est pas perdu pour l’Asile. La commune est pleine de potentiel. Quoique l’endroit est oublié des autorités, des associations de jeunes, notamment de la diaspora, œuvrent à remettre leur ville sur la carte en y faisant une destination touristique ou un lieu de pèlerinage. Il faut penser à l'électrification, le reboisement et l’amélioration des voies d’accès. 
 
 En route vers les Nippes

 Poussiéreuses, cahoteuses et bordées de falaises à certains endroits, telles sont les images qui reviennent en mémoire lorsqu'on évoque les routes de l'Asile en particulier et celles des Nippes en général. Faut-il aussi mentionner le Morne Tapion dans l'Ouest et le Morne Ocot dans la Grand’Anse réputés dangereux. J’avais d’abord hésité à faire le voyage à cause de toutes les nouvelles d’accidents que j’avais l’habitude d’entendre à Port-au-Prince. Cependant je me suis armé de courage et j’ai pris la route. C’est ainsi que j’ai pu constater que ce sont en fait les chauffeurs qui sont indisciplinés, sans compter le fait qu'à certains endroits la route est vraiment en mauvais état.

Avec mon compagnon de voyage, l’ingénieur Robert Joseph on s'est engagés sur la Nationale #2 à bord d'un bus bariolé voguant vers Miragoâne, chef-lieu des Nippes élevées au rang de département par la loi du 4 septembre 2003 portant création dudit département. En conséquence, la Nationale #2 ne relie plus trois mais quatre départements : le Sud, le Sud-est, la Grand'Anse, et les Nippes.

 "Le projet de faire des Nippes un département à part entière date de plusieurs années, élaboré sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, s'est concrétisé sous celui d'Aristide", explique l'ingénieur Robert Joseph. C'était, selon lui, plus qu'une nécessité, car il fallait sortir les Nippes du giron de la Grand'Anse et les rendre autonomes afin de s'occuper de leurs propres problèmes. En outre, certaines communes étaient tellement isolées, des lois ont été votées pour qu'elles puissent bénéficier de certains avantages en devenant non des arrondissements, mais des circonscriptions électorales, notamment la loi du 11 avril 2002 élargissant le nombre de communes et de quartiers de la République. Ainsi, ils pouvaient avoir un représentant à la Chambre. "Ce fut le cas des Baradères, de Petit-Trou et actuellement, l'un des grands bénéficiaires de cette loi est l'Asile qui, en devenant une circonscription électorale unique, peut être représentée à la Chambre des députés et se défaire de la tutelle de l'Anse-à-Veau", explique l'Ingénieur Joseph.

C'est également le cas pour d'autres quartiers tels que Fond-des-Nègres, Paillant, Arnaud et Plaisance du Sud qui ont vu leur statut évoluer avec l'accession des Nippes au rang de département. Aujourd'hui, les Nippes peuvent envoyer leurs propres représentants au Sénat et sont légalement le vrai dixième département qui s'étend de Miragoâne en passant par Fonds-des-Nègres, Anse-à-Veau, l'Asile, Paillant, Boucan Carré, Petit-Trou et Petite-Rivière de Nippes, Grand Boucan, Arnaud, Plaisance du Sud et Baradères.

D'autre part, cet ajout d'un nouveau département allait changer, non seulement la carte géographique mais également la carte électorale. Trois nouveaux sénateurs et 6 nouveaux députés sans compter les 11 maires, les Asec et Casec qui s'ajoutent à la liste.

En termes de délimitation géographique, on peut seulement dire que les Nippes restent enclavés entre l'Ouest, le Sud-Est, le Sud et la Grand'Anse. Mais quoiqu'il reste enclavé géographiquement, le département des Nippes a conquis l'autonomie administrative et politique.