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Éditorial

Publication 31 Janvier 2020

31 janvier 2020

10 ans plus tard ou en sommes nous?

12 janvier 2010.  Il est 16 h 53. Voyageant à la vitesse du son, un bruit assourdissant et terrifiant mit toute la population de Port-au-Prince en émoi. Le ciel venait de nous tomber sur la tête comme pour annoncer la fin de notre monde. Pour la première fois, plusieurs générations allaient connaitre les effets d’un tremblement de terre. Personne ne s’y attendait dans ce pays puisque, malgré plusieurs secousses annonciatrices et les mises en garde de l’ingénieur Claude Prepty, tout le monde semblait miser sur le « Bondieu bon » comme panacée miraculeuse à tous nos maux.

Et pour cause, un bilan catastrophique comme l’attestent toutes les sources s’étant prononcées sur ce regrettable événement : un Himalaya de cadavres estimés à près de 300 mille ; des pertes et des dommages matériels évalués à environ 120% du PIB de 2009. Ce dernier a ainsi connu sa plus forte chute depuis les quelques dernières années.  En effet, depuis l’année 2004, le PIB haïtien croissait à un rythme assez flatteur de 3%. L’année du séisme, le PIB a connu une croissance négative de -5%.  Dix ans après, les plaies laissées par cette catastrophe sont encore béantes.

Déjà classée comme un des pays les plus pauvres bien avant le séisme, Haïti s’est enfoncée davantage dans la pauvreté. L’espoir de la relance économique et de la reconstruction du pays avec l’aide internationale s’est amenuisé au fil des années.  Cet espoir vite devenu une utopie pour la population victime qui, dix ans après, se retrouve encore, à un fort pourcentage, sous des tentes ou des abris de fortune. Pourtant, un montant estimé à 1,2 milliards de dollars américains a été amassé par le mouvement de la Croix-Rouge dont environ 450 millions de dollars américains par la Croix-Rouge américaine, destinés à la construction de logements en faveur des victimes du séisme. Malheureux constat cependant : cet organisme n’a construit que six petites maisons.

Malgré les dénonciations qui ont suivi cette affaire, rien n’a été fait pour soulager les nombreuses victimes de Goudougoudou. Plusieurs autres cas de dilapidation des fonds de la reconstruction par des organismes locaux et internationaux ont été signalés, mais aucune suite légale ne leur a été donnée. Même les dirigeants haïtiens sont reconnus avoir participé à ce grand gaspillage de fonds qui auraient pu mettre le pays sur les rails du développement et de la modernité.

Il s’ensuit que 10 ans après, aucun projet d’envergure n’a été réalisé malgré la grande mobilisation internationale autour d’Haïti au lendemain du 12 janvier. Ce serait un pari risqué que de vouloir citer les nombreuses opportunités ratées par Haïti après le tremblement de terre. Cependant, devoir oblige, nous voulons à Xaragua Magazine continuer à pousser la réflexion sur cet événement douloureux et à appeler l’attention sur la progression d’Haïti dix ans après.

Qu’avons-nous déjà fait ?  Au premier regard, pas grand-chose, sinon que précipiter le déclin d’Haïti à tous les niveaux.  Le séisme du 12 janvier avait offert aux Haïtiens la possibilité de repartir sur de nouvelles bases, de tout faire ou de tout refaire. C’était une excellente opportunité pour adopter une autre manière de vivre, susceptible d’apporter des solutions à nos nombreuses dérives. Au niveau individuel, chaque citoyen haïtien aurait dû tirer des leçons de cet événement et, de façon naturelle, se résoudre à changer pour, entre autres, contribuer à la réduction des inégalités et participer à la mise en place de mesures pouvant nous protéger contre les caprices du temps et de la nature.

Qu’en a-t-il été des institutions d’État au regard des dispositions qui auraient dû être prises pendant la dernière décennie pour répondre aux exigences de l’heure ? En dehors des colloques financés par l’international, les vrais problèmes ont-ils été posés pour trouver des solutions durables et proposer de nouvelles orientations garantissant l’évolution de notre pays ?

Après ce tremblement de terre, on s’attendait à une prise en charge totale de l’État en ce qui a trait à la sensibilisation, la formation et la préparation de la population en cas d’éventuelles catastrophes. Dix années après, le constat demeure étonnant, les constructions anarchiques pullulent. Nous observons encore une explosion de bidonvilles par-ci et par-là. Les normes de construction internationalement reconnues ne sont toujours pas respectées en dépit des conseils des experts en construction parasismique.

D’aucuns pensent que, si le pays devait revivre un 12 janvier 2010, les dégâts ne seraient pas moindres puisque les Haïtiens n’ont pas su tirer de leçons, évaluer la dimension des risques qui ne les menacent ni prendre les décisions qui s’imposent.  Les bourgeons d’espoir se sont vite fanés.  Nous avons quasiment tout perdu dix ans plus tard. Même la belle solidarité haïtienne qui a émergé et étonné les étrangers pendant les premiers jours du séisme a totalement disparu. Dix ans plus tard, on assiste au spectacle ahurissant d’hommes armés prêts à ôter les mêmes vies qu’ils essayaient de sauver hier. De nos jours, on casse, on pille, on incendie, on tue comme on respire. Le don du partage, la sensibilité, le patriotisme ne sont plus des valeurs partagées en Haïti. 

À bien y penser, en quoi cette catastrophe majeure a-t-elle pu être une sonnette d’alarmes pour un réveil de la conscience collective ? Pourquoi semblons-nous glisser constamment dans le précipice du chen manje chen ? Comment se fait-il que la seule démarche étatique consiste à utiliser l’anniversaire de cet événement pour soi-disant saluer la mémoire de nos chers disparus alors que rien de concret n’est fait pour venir en aide aux nombreux sinistrés et handicapés victimes de cette catastrophe ? À quand des mesures palpables pour reconnaître le droit d’exister de ces derniers ? 

L’État n’est pas le seul grand absent dans la gestion post-séisme. Le secteur privé des affaires ne s’est pas montré non plus à la hauteur. Exception faite de la démarche d’une entreprise privée de la place pour réaménager le marché Vallières, le secteur des affaires s’est inscrit aux abonnés absents des acteurs de la reconstruction.  Pourtant, il y avait tellement d’opportunités à exploiter dans une telle conjoncture. À titre d’exemple, des efforts auraient pu être faits pour moderniser notre système de communication qui n’avait pas résisté aux avatars de « Goudougoudou ». 

Quelques-unes des grandes questions qu’il importe de se poser dix ans plus tard : si nous devions faire face à un séisme de la même envergure, l’État haïtien dispose-t-il d’un plan pour répondre plus efficacement aux besoins de la population? Notre système de communication tiendrait-il le coup ? Le secteur privé des affaires se manifesterait -il dans le sens d’une participation effective à la reconstruction ?

Tout en saisissant cette occasion pour, une de fois de plus, remercier et applaudir ces héros d’un jour qui ont défié le séisme et mis leur vie en jeu pour sauver d’autres alors que les institutions et autorités compétentes broyaient du noir, Xaragua Magazine appelle de tous ses vœux des mesures immédiates et concrètes pour que, d’ici dix ans, nous ne soyons plus à faire ce même constat, combien regrettable.  
 

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